Avec mon acolyte Alexandre, nous prévoyons de visiter deux vergers bio (et finalement nous en visiterons trois), dans les contés de Miaoli et Taichung, sur la côte Ouest de Taïwan. En pédalant sur les routes de Miaoli, nous voyons beaucoup de champs recouverts d’engrais verts. Ici il s’agit de la crotalaire effilée (Crotalaria juncea 太陽麻), une légumineuse que nous rencontrerons tout au long de la journée.
On commence par la visite imprévue d’une ferme bio
Notre rendez-vous de la matinée est à la maison de Xue Zhen, une mère de famille qui cultive plus de 10 variétés différentes de goyaves sur son terrain. Presque arrivés à son adresse, nous demandons notre chemin à quelqu’un, qui nous indique une ferme voisine où sont cultivés en bio plein de légumes et quelques fruits.
Nous pénétrons donc dans la propriété, et tombons sur un monsieur qui a l’air de nous attendre. Je lui demande s’il attend bien deux français ce matin, recommandés par la directrice de la fondation Wutong. Il confirme qu’il connaît bien notre directrice, et il connaît même nos projets de forêts comestibles publiques en ville . Nous commençons donc la visite, un peu surpris toutefois de ne pas voir de goyaves, car c’est ce que nous pensions voir. La ferme est composée de plusieurs serres abritant de longues rangées de tomates, papayes, ou légumes à feuilles. Le fermier nous explique qu’il taille régulièrement ses papayers (coupe du tronc principal à 50cm~1m du sol) afin qu’ils produisent plus longtemps (plus d’une décennie ?) et que les fruits restent faciles à récolter. À l’extérieur, on y cultive des carottes, des okras (qui après leur période de production et la perte de leurs feuilles servent de tuteur à des pois) ou encore des pitayas.
Au bout d’environ 1h, je reçois un appel téléphonique de Xue Zhen, qui nous demande si nous arrivons bientôt. Quoi ? Mais nous ne sommes pas déjà chez Xue Zhen ? Terrible méprise, on nous a indiqué la mauvaise ferme et notre objectif du jour est en fait à… 100 mètres de là ! Pas de chance d’être tombé sur un fermier qui n’avait pas l’air d’avoir été perturbé par le fait de voir débouler deux français, et qui en plus connaissait notre fondation !
Le premier verger bio à Miaoli : 10 variétés de goyaves
Avec une heure de retard et sans le cadeau qui lui était initialement destiné puisque nous l’avons donné au monsieur précédent, nous voici donc à la ferme de l’adorable et généreuse Xue Zhen. Celle-ci avait mis les petits plats dans les grands pour nous accueillir, avec une dégustation de plusieurs variétés de goyaves, mais aussi du maïs, des pomelos, du taro, des tomates, des radis, le tout issu de son jardin bien entendu.
Xue Zhen aime beaucoup planter les goyaves, elle en récolte toute l’année, mais surtout au mois d’Août. Elle cultive plusieurs variétés de chaque espèce. Ainsi, on trouve plusieurs sortes de radis blanc, plusieurs sortes de tomates absolument délicieuses, une vingtaine de variétés de goyaves (甜芭樂,紅心芭樂,西瓜芭樂), du bissap rouge et du bissap blanc, etc. Outre les goyaves, elle diversifie également ses fruitiers, avec des cerisiers du brésil, des bananiers, des pomelos, et bien d’autres encore.
Fertilisation assurée par des plantes compagnes
Xue Zhen utilise des méthodes naturelles pour fertiliser son verger. Par exemple, elle récupère le marc de café et le fait fermenter pour l’utiliser ensuite comme engrais liquide. Parfois, elle met le marc de café directement à proximité des arbres, mais pas à moins de 1 ou 2 mètres de distance car le marc de café est extrêmement concentré en azote. Elle utilise aussi des plantes couvre-sol pour protéger le sol de l’érosion et du soleil. Au jardin, la fertilisation est également en partie assurée par des engrais verts (Crotalaria juncea 太陽麻) principalement) qui sont plantés directement en interligne avec les cultures principales. Pour éviter les pertes dues aux insectes, XueZhen enveloppe tous les fruits en cours de maturation et susceptibles aux dégâts d’un emballage plastique ou de toile de juste. Ainsi, elle n’a pas de perte, mais il s’agit d’un travail extrêmement méticuleux !
Les Jaboticabas ont du mal à résister aux grands vents et aux passages de typhons. Certains d’entre eux se sont couchés sur le sol, mais ils sont malgré tout toujours vivants et continuent à donner des fruits ! Au début, XueZhen pensait qu’ils étaient morts donc elle a planté d’autres arbres fruitiers dans le même emplacement. À présent, cela donne deux arbres fruitiers bien vivants qui cohabitent dans le même espace…
Les arbres de XueZhen sont taillés très bas, de façon à pouvoir récolter les fruits à la main. Ainsi, ils bénéficient tous d’un parfait ensoleillement ! De la ferme de XueZhen, nous retiendrons l’incroyable diversité des plantes de toutes sortes, toujours déclinés en plusieurs variétés. La biodiversité et l’autonomie sont les clés !
Le verger bio de Qing Yuan dans le conté de Taichung, Taïwan
Après avoir quitté l’adorable XueZhen, nous nous dirigeons vers Taichung pour rencontrer Qing Yuan, un ancien technicien qui s’est mis à cultiver deux grands vergers avec son père. Qing Yuan est très accueillant, il vient même nous chercher à la gare du village pour nous guider jusqu’à son terrain, où il commence par nous donner un cours bref mais très complet sur les interactions entre système racinaire et micro-organismes du sol.
Le système d’irrigation du verger est composé de tuyaux suspendus auxquels sont attachés des gicleurs répartis de manière homogène sur le terrain, de façon à pouvoir facilement couper l’herbe au niveau du sol. Le système d’irrigation étant situé assez bas, il faut se courber pour se déplacer dans le verger. Pas très pratique si on est de grande taille et pas très souple !
Comme Qing Yuan reçoit parfois des écoliers et des étudiants, il a fait faire des planches explicatives très détaillées sur le fonctionnement des arbres. Il souligne l’importance du réseau mycorhizien qui permet aux racines d’aller chercher les nutriments. Par exemple, si son pied de fruit de la passion qui donne des dizaines de beaux fruits et se répand à plusieurs mètres à la ronde pousse si bien, c’est parce que le réseau mycorhizien qui se trouve autour de son système racinaire est très efficace.
Pommiers et chrysanthèmes, de bonnes plantes compagnes
Il nous montre les pommiers qu’il cultive. Comment se fait-il qu’on puisse récolter des pommes à si basse altitude, si proche de la mer, dans le climat subtropical de Taïwan ? La façon de tailler l’arbre apporte une première réponse. Grâce à un outil en S, Qing Yuan recourbe les branches de l’arbre de façon à les placer en position horizontale, voire légèrement inclinées vers le bas. Ainsi, la circulation de la sève dans l’arbre sera favorable à la fructification. La variété du pommier ainsi que du porte-greffe (ce dernier développé spécialement à Taïwan) jouent également un rôle important.
Qing Yuan nous propose une délicieuse infusion de chrysanthèmes (菊花 Chrysanthemum morifolium) agrémentées de jujubes, qu’il a lui-même cultivées. À Taïwan, les chrysanthèmes et les pommiers sont de bonnes plantes compagnes, c’est pourquoi il cultive beaucoup de chrysanthèmes au pied de ses fruitiers, elles servent aussi de couvre-sol. Le tableau des plantes compagnes de Taïwan peut être récupéré via l’association Earth Passengers. Il fait sécher les chrysanthèmes lui-même grâce à un déshydrateur qu’il a fabriqué lui-même à partir d’un vieux frigo. Facile pour un ancien ingénieur particulièrement débrouillard !
Les chrysanthèmes séchées grâce à un vieux frigo de récupération
Lorsque l’ensoleillement est suffisant, des panneaux solaires thermiques alimentent en eau chaude un échangeur thermique qui permet de faire circuler de l’air sec et chaud dans un réfrigérateur de récupération. La maîtrise de l’échange thermique permet de contrôler la température, qui ne dépasse pas 38°C afin de préserver toutes les qualités nutritionnelles de ce qu’il fait sécher. En cas de faible soleil (tout particulièrement le soir) il utilise un séchoir utilisant l’énergie éolienne, les vents pouvant être assez importants dans cette région proche de la côte.
Lorsqu’il n’utilise pas de plantes couvre-sol particulières, il laisse les adventices se développer : elles entrent très peu en concurrence avec les arbres déjà développés, protègent le sol de l’érosion et du soleil, peuvent détourner les attaques des insectes ravageurs, et parfois sont comestibles (comme l’amarante (野莧 Amaranthus viridis).
Un trou percé dans le sol pour fertiliser les racines des arbres
Pour terminer l’après-midi, Qing Yuan nous amène à son deuxième verger à quelques centaines de mètres de là, pour nous montrer sa méthode de fertilisation des arbres. Les arbres ont particulièrement besoin de développer leurs racines et d’accéder aux nutriments entre 50 cm et 1 mètres de profondeur. Ainsi, à environ 1 à 2 mètres du tronc de l’arbre, Qing Yuan utilise une machine spécifique pour percer un trou de 50 cm à 1 m dans le sol, puis y insère un bambou qui servira à verser l’engrais liquide composé de compost, bactéries et champignons visant à améliorer le système racinaire de l’arbre. Le bambou a préalablement été fendu en deux parties et une des deux parties a été inversée (de haut en bas) afin que l’eau puisse s’écouler sans être retenue par la partie rigide qui sépare deux sections d’un bambou.
Finalement, Qing Yuan explique qu’à l’avenir, il pourra récolter quelque chose de différent selon les mois de l’année. Pour le moment, il a réussi à se distinguer en récoltant les Nashis (水梨 Pyrus pyrifolia) les plus précoces de Taiwan, au mois de Mai. Il récolte ses pommes en Juin, ses Chrysanthèmes en octobre, bientôt des kiwis en Septembre, et ainsi de suite…