De 2017 à 2019, j’ai été invitée à développer le concept de forêts comestibles publiques à Taïwan au sein de la fondation Wutong, une ONG qui milite pour le retour des arbres en ville. La fondation organise des évènements en partenariat avec les autorités locales afin de sensibiliser le plus grand nombre à la protection de l’environnement. C’est ainsi que je me suis retrouvée à créer et animer des ateliers pédagogiques dans les forêts comestibles publiques en plein cœur de la ville de Hsinchu!

forêt comestible publique de Taïwan vue du ciel
La forêt comestible publique de Hsinchu vue du ciel (crédit : fondation Wutong)

Mon métier de “conceptrice de vie durable”

Je travaille à la fondation Wutong en tant que “Sustainable Life Designer”, c’est-à-dire “conceptrice de vie durable”. À Taïwan, 70% de la population vit en ville et les gens sont de moins en moins en lien avec la nature. De plus, les citadins subissent une chaleur étouffante 6 mois dans l’année. Dans ce contexte, la fondation Wutong a pour mission de faire revenir les arbres au cœur de la ville.

Pour attirer davantage de gens à s’intéresser à ses activités, la fondation a eu l’idée d’associer la notion de “nourriture” à celle “d’arbre”. Le but est de donner envie aux gens de prendre soin des arbres. Ils pourront bénéficier de leurs fruits en échange!

Personnellement, je pense que la portée est bien plus grande. Planter des forêts comestibles en ville permettra aussi d’aller vers l’autonomie alimentaire, de créer des circuits courts, d’améliorer l’accès à une nourriture fraîche et de qualité, et de donner aux gens l’occasion de se réapproprier l’espace public! Ainsi, lorsque je reçois cette proposition de rejoindre la fondation pour m’occuper de projets de forêts comestibles publiques, je ne cours pas, je vole.

Pendant trois ans, j’ai pour mission de créer et animer les ateliers pédagogiques dans les forêts comestibles publiques. J’ai pu participer à la conception de 3 des 4 forêts actuelles de la ville. J’ai aussi eu l’occasion d’animer un certain nombre de conférences dans les écoles primaires, universités et entreprises intéressées par ce concept.

Écouter l’émission de Radio Taïwan International sur les forêts comestibles publiques de Hsinchu ici.

La biodiversité s’invite au cœur de la ville

En théorie, une forêt comestible c’est comme une forêt naturelle, mis à part que toutes les espèces sont comestibles. Il y a des plantes à tous les étages qui collaborent entre elles. Les arbres forment la canopée, il y a des arbustes plus petits, des buissons, des herbacées, des couvre-sols, des racines, des lianes, des plantes aquatiques… Les plantes fonctionnent en symbiose, sans engrais ni intrant chimique.

Sur l’espace public, cette définition scientifique ne suffit pas. Il faut considérer les éléments qui font que cet espace s’intègre dans la ville et garantissent la participation des habitants. Dans les forêts comestibles publiques de Taïwan, on trouve donc également des bacs à compost, un collecteur d’eau de pluie, un espace potager, une spirale aromatique, un kiosque pour les ateliers pédagogiques…

Comparée à un parc urbain classique, la biodiversité au mètre carré est nettement augmentée. En effet, la végétation étagée occupe l’espace en trois dimensions. Pour chaque étage, il y a plusieurs dizaines de variétés différentes. Une étude de nos stagiaires Jean et Lauren a même mis en évidence que la biodiversité de la forêt comestible publique de Hsinchu était augmentée de 2000% par rapport au parc témoin voisin! Cela favorise l’arrivée d’insectes utiles : abeilles solitaires, papillons, et autres auxiliaires favorisant la pollinisation.

Représentation de la végétation étagée dans une forêt comestible. Auteurs : Jean Constantin & Lauren Kim dans “réinventer l’espace public urbain au 21ème siècle, sous l’angle du quartier”

Tout le monde participe

C’est la mairie qui met à disposition les terrains dédiés aux forêts comestibles publiques de Taïwan. Le département d’éducation à l’environnement subventionne en partie ces projets car il voit leur potentiel pédagogique. La fondation Wutong, pour laquelle je travaille, apporte son expertise et prend en charge l’animation des ateliers et la formation des volontaires. Ces derniers sont des habitants du quartier. Ce sont des personnes âgées qui s’ennuient, des passionnés de jardinage, des chômeurs curieux, de jeunes étudiants engagés. Tous les âges sont représentés!

Les écoles viennent souvent sur le site valider les acquis de leur programme scolaire. Quand aux entreprises privées, elles se montrent de plus en plus intéressées pour organiser des journées de volontariat. Leurs employés contribuent à la protection de l’environnement tout en consolidant leurs esprit d’équipe. Par conséquent, les projets de forêts comestibles publiques sont des projets qui rassemblent et intéressent tous les acteurs de la ville!

Le maire de Hsinchu récolte de la canne à sucre.
Le maire de Hsinchu récolte de la canne à sucre devant les média lors d’un atelier pédagogique.

Un espace pour l’éducation populaire

Lors des ateliers pédagogiques, on apprend les techniques d’agriculture naturelle : faire du compost, créer du sol nourricier à partir de déchets organiques, reproduire les plantes. On apprend aussi comment utiliser les plantes de la forêt comestible : fabriquer des huiles essentielles, des cosmétiques naturels, des boissons pétillantes fermentées. Chacun peut se former à un mode vie plus durable.

C’est un espace d’échange et de partage, où chacun est libre de transmettre ses connaissances. Les plus âgés sont toujours contents de montrer aux jeunes générations comment utiliser les plantes traditionnelles ou faire du macramé. Les parents amènent leurs enfants pour leur montrer les papillons et les poissons de la mare. Des visites guidées hebdomadaires permettent de recevoir les groupes qui le désirent. On voit se succéder les services municipaux de villes voisines, les groupes d’étudiants, les associations de citoyens, ou encore les services en charge de la réduction de l’empreinte carbone des villes. Les forêts comestibles publiques rayonnent bien au delà de la ville de Hsinchu!

Les volontaires les plus âgés prennent soin du compost (crédit : fondation Wutong)

Vers l’autonomie alimentaire de la ville

J’ai parfois regretté que le design des forêts comestibles publiques de Taïwan soit davantage basé sur l’esthétique que sur la productivité. En fait, j’ai pu me rendre compte que cela présente de nombreux avantages. Les citoyens ne se plaignent pas d’un éventuel désordre, la beauté du site émerveille les visiteurs. Ils ont envie de reproduire ce modèle chez eux. La mairie est pleinement satisfaite de l’attrait exercé sur les médias. Le maire utilise souvent cet espace pour ses conférences de presse et se rapprocher de ses concitoyens.

Les forêts comestibles publiques de Taïwan sont une superbe vitrine pour montrer comment la ville peut aller vers l’autonomie alimentaire. Les citoyens se forment, passent du temps à l’extérieur, se rencontrent sur l’espace public. Ils accèdent à une nourriture fraîche et saine. On utilise les déchets organiques de la ville pour créer du sol nourricier. Des circuits courts se créent, les restaurants entrent dans la boucle en utilisant les produits frais. En échange, ils proposent des réductions sur leurs plats aux volontaires.

Les forêts comestibles publiques sont l’une des 21 actions de l’agenda 21 de l’autonomie alimentaire des villes proposé par l’université francophone de l’autonomie alimentaire. Que diriez-vous de reproduire ce modèle dans les villes françaises?

transformation des déchets en sol nourricier
Transformation des déchets organiques de la ville en sol nourricier lors d’un atelier avec les employés d’une entreprise partenaire. Crédit : fondation Wutong

2 thoughts on “3 ans en immersion dans les forêts comestibles publiques de Taïwan

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
24 ⁄ 12 =